Le tour de France des librairies en Peugeot 104 : Rouen, Caen, Dieppe, Le Havre

Le principe : un éditeur de littérature nomade fait une tournée de diffusion pour présenter les livres de sa maison d’édition aux librairies. Une 104 peugeot trente ans d’âge pour destrier, il traverse la France comme un croisé. Son blason est un tilde (sorte de moustache typographique).

Décidément, en voyage on n’est jamais seul très longtemps. À Paris, j’ai eu le temps de croiser Laura Petrecca, qui a entre autres talents ceux de comédienne et de poète, avant qu’elle ne reparte pour Buenos Aires. L’occasion de remuer les sempiternelles questions de l’itinérance et du port d’attache, de la langue dans laquelle on pense et celle dans laquelle on parle, et des contextes de réception littéraire dans nos pays respectifs. Le fait par exemple que la nouvelle soit si répandue, et un genre considéré comme très noble en Amérique latine. Que les essais soient vendus en kiosques et représentent une grande part des ventes de livres, etc.

À Rouen, c’est un autre ami qui brouille les pistes lui aussi — un apprenti-cinéaste rédacteur de guides — qui m’héberge, ce qui le privera du spectacle de repliage de tente. Rodolphe Bacquet n’en est pas à sa première promenade en 104. Il a fait partie des passagers de la première heure, lors qu’encore étudiants et insouciants nous suscitions dans le coupé rouge tomate fané les commentaires de Corses circonspects (les trous dans la carrosserie relevant plus de l’humidité du climat que des attentats de l’OAS).

La Normandie est un vaste royaume, dont Rouen dessert les provinces. Il y a des chaumières, des bois mystérieux, et même des touristes. Comme mon organisation est un peu confuse, je profite des matinées pour fixer les derniers rendez-vous. L’après-midi du premier jour, je rencontre les librairies de Caen, après un passage funeste à Elbeuf sur Seine, où le gérant de La Pléiade, par ailleurs fort aimable, m’a prodigué un discours digne de l’Institut Médico-Légal, sur le sens de son activité. On m’offre en revanche un accueil des plus enthousiastes au Brouillon de Culture. Le reste de la promenade Caennaise se passe entre murailles fraîches et jardins fleuris, entre églises vides et petites bouquineries. Quant à la 104, en Normandie c’est comme voyager à bord du Concorde : à Mac 2, nous embrouillons la météo et passons à travers les gouttes.

Le lendemain, trois villes défilent dans la journée. À Rouen, j’ai un long entretien avec P. Grey de la superbe librairie Polis. Puis nous filons vers la côte. À Dieppe, ville curieuse où le front de mer est une façade continue de plusieurs centaines de mètres, on trouve des cabines de plages que des familles louent pour la journée ou la semaine. On passe sur les planches et les petits vieux sont assis dans leurs chaises de toile, leur casquette vissée au ras du front. Tout cela est un peu à la volée et au pas de course. Nous partons ensuite vers Le Havre, où je dois être avant 18h30. L’occasion de faire une visite papale (c’est à dire la tête par le toit ouvrant) de l’urbanisme havrais, avant d’aller savourer une anisette — bouteille dans le coffre, déjà indispensable en terres méditerranéennes, face à l’hégémonie du pastis, alors n’en parlons pas sur les côtes normandes — sur les galets.

Ces deux journées d’itinéraires normands me laissent un peu perplexe quant au tissu de librairies qui y est installé : des petites librairies ont fait la moue, tandis que des librairies – papeterie – articles de plages – hi-fi – électroménager – cinéma multiplex et j’en passe grimpaient au plafond à la vue de nos livres. ‘Sont fous ces normands.

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